Propos recueillis lors d’une table ronde du magazine « Pharmaceutiques » (7 Mai 2015)

Malgré l’allongement de la vie professionnelle, les entreprises valorisent encore mal le potentiel des salariés de plus de 50 ans. Souvent jugés rétifs au changement, ils voient les défis les plus stimulants leur échapper face à une politique RH focalisée sur les jeunes talents.

“Lorsqu’il s’agit de talents, on parle beaucoup des générations x et y. Mais assez peu des seniors, sauf à évoquer leur performance de manière quantitative. La mise en place d’une vraie politique de gestion des talents pour les seniors permettrait pourtant de libérer des collaborateurs aujourd’hui réfrénés, car en manque de reconnaissance. Les valoriser sur de nouveaux critères révélerait certainement de nouveaux talents”, explique Valérie Maire. La bonne intégration des seniors se heurte toutefois à un contexte spécifique : les nombreuses années de préretraites massives encouragées par les politiques publiques ont créé des habitudes chez les DRH et des exigences chez les salariés, faisant de la sortie précoce du travail un véritable acquis social.

Il s’agit également d’une véritable question culturelle. “La France affiche aujourd’hui une très bonne productivité par rapport au temps de travail, car elle a fait le choix de cibler la population la plus efficace, excluant les plus jeunes et les seniors. Mais à 50 ans, voir plus, on rencontre aussi des collaborateurs plus libres. Il leur faut peut-être davantage de temps pour accomplir une mission, mais s’ils sont motivés et que leur compétence est reconnue, ils peuvent aussi s’investir plus et optimiser leur travail”, ajoute Valérie.

Une industrie jeune

Mais certains obstacles demeurent réels. Les jeunes managers trouvent notamment plus difficile d’instaurer des relations efficaces avec eux. D’autant que l’industrie pharmaceutique reste relativement jeune. Selon le Leem, l’âge moyen du secteur est de 42,8 ans : 22,9 % des salariés ont moins de 36 ans, et les salariés de plus de 45 ans occupent un peu moins d’un tiers des emplois de la branche. Une situation difficile à inverser, face à un contexte global de restructuration des entreprises. Pour tenter d’inverser la tendance, les campagnes incitatives se multiplient envers les employeurs, notamment de la part du Leem. De nombreuses sociétés ont également pris des initiatives spécifiques, comme Sanofi, qui propose depuis 2013 un dispositif baptisé VETCS (valorisation d’expérience et transfert de compétence des seniors), réservé aux salariés en fin de carrière qui souhaitent partir travailler dans une PME ou une association, tout en conservant leur salaire. Près de 200 missions, de trois à douze mois à temps partiel ou à temps plein, ont déjà été réalisées dans de plusieurs domaines : projets scientifiques, communication, ressources humaines, finances…

Mais le coeur du défi reste la conservation de l’employabilité tout au long de la carrière. Dans une industrie innovante et toujours plus réglementée, les employeurs craignent en effet de se retrouver face à des réflexes professionnels qui ne correspondent plus aux exigences en vigueur. “Il faut savoir anticiper les équilibres économiques et structurels de l’environnement. C’est une vraie question, mise au centre du débat par le gouvernement avec la mise en place des entretiens individuels”, insiste Fanny Debbi, Directrice des ressources humaines d’Expanscience.

Renouer le dialogue

Dans ce contexte, l’entretien professionnel “de seconde partie de carrière” permet aux responsables des ressources humaines de renouer le dialogue. “L’intérêt de ces entretiens avec des collaborateurs proche de la retraite semblait au départ plutôt limité. Mais ils nous ont permis d’apprendre beaucoup et de repérer certains problèmes au sein de l’entreprise, qu’il s’agisse de question de management ou au niveau RH, et de découvrir des collaborateurs qui ont encore des ambitions, que l’on a considérées à tort comme dormantes pendant de nombreuses années”, ajoute Tristan Saladin, Directeur des ressources humaines et de la communication de Chiesi.

De nouveaux axes de développement

Malgré certaines difficultés, les employés de plus de 50 ans présentent aussi des atouts bien réels – tels qu’une plus grande maturité émotionnelle. Et peuvent s’imposer sur certains postes comme des profils clés. “Je travaille avec des DRH à l’international pour repérer les meilleurs talents seniors et s’ils sont motivés leur proposer un poste dans un pays émergent, où les besoins de formation sont très importants. Les plus de 50 ans sont en général plus libres pour relever ces nouveaux challenges et souhaitent s’engager dans une expérience internationale. Ils rentrent de plus mieux dans le package de rémunération proposé par l’entreprise”, explique Priscilla Motte, Managing Partner.

Face à certaines personnes qui ne souhaitent plus forcément évoluer dans leur entreprise, le discours des experts change : “Il faut leur expliquer que le changement est désormais une partie intégrante du métier. Leur poste ne sera plus plus le même dans quelques années et il est important de s’y habituer rapidement pour mieux faire face à des environnements différents. Mais je ne crois pas que ce soit finalement une question d’âge, c’est plus lié à un état d’esprit et à la capacité à faire changer les choses”, explique Jérôme Vernon, Directeur des ressources humaines du laboratoire Boehringer Ingelheim, en citant l’exemple de Costa Economou, qui a pris la présidence de la filiale française du laboratoire l’année dernière à 53 ans. “Il est arrivé de Grèce, après avoir travaillé en Thaïlande et en Afrique du Sud, sans parler français. Il doit s’habituer à un nouvel environnement, mais il apporte à notre organisation une manière de penser un peu différente, ce qui est très positif”.

Des pistes à étudier

De nombreuses pistes restent enfin à approfondir afin d’engager une rupture culturelle dans les pratiques de gestion des ressources humaines des entreprises ainsi que dans la projection que se font les salariés de leur âge de cessation d’activité. Comme le contrat de génération, le dispositif d’aide à l’emploi visant à créer des binômes jeune-senior pour encourager l’embauche des jeunes et garantir le maintien dans l’emploi des seniors dans les PME. Il permet ainsi de transmettre une “mémoire” de l’entreprise et d’anticiper les pertes de compétences liées aux départs, tout en rapprochant les générations. Enfin, les exemples des pays champions de l’emploi des seniors (Suède, Danemark, Royaume-Uni) montrent que le vieillissement actif doit s’accompagner d’une mobilisation sociale importante : amélioration des conditions de travail (ergonomie, travail à domicile, horaires aménagés), investissement massif dans la formation permanente, lutte contre les discriminations liées à l’âge, campagnes de sensibilisation… Autant de leviers qui permettent d’augmenter les emplois disponibles pour les seniors et de les inciter à prolonger leurs carrières.